Arvor – Vue sur mer
L'espace d'une frontière... Le temps d'un infini
L’arvor, c’est l’espace d’une frontière, celle qui définit et sépare la mer des terres. C’est un entre-deux, un lieu suspendu où l’on n’est ni encore tout à fait parti ni plus tout à fait là. Ce pays qui borde la mer s’oppose à celui de l’intérieur. Il cristallise toute la physionomie du bout, du bord, du contour, ouvrant alors un jeu de perspectives complexe, un écho des regards. Tandis que cette terre après les flots attache l’œil du marin en navigation, se fait rivage à mesure qu’elle l’ancre au monde des hommes ; pour celui qui se tient sur la grève, à l’orée des écumes en roulis, ce n’est plus une vision qui se fixe, mais bien un horizon qui s’étend, une échappée. Arvor, c’est ce double mouvement intérieur-extérieur, ce va-et-vient, c’est cette collision entre ce qui lie et ce qui ouvre, ce qui attache et ce qui voyage : c’est le roman. C’est ce qui plonge en nous d’un coup d’œil entre les pages, ce qui chavire entre les lignes pour mieux consolider nos amarres.
Aux confins des effluves iodés, le vent se cabre, la végétation défie le sel, le sable accroche les chevilles. La vue se libère soudainement pour s’éprendre d’infini et d’ailleurs, tout s’éveille. Arvor accueille celui qui cherche désespérément des yeux comme une réassurance, où se retrancherait l’espoir après la houle oragée ; elle se fait ancrage, trouvaille, secours. Elle porte aussi celui qui, enivré d’inédit, rêve de parcourir l’étendue qui se déploie devant lui et abrite tous les possibles.
C’est dans cet interstice que surgit la rencontre sauvage entre la terre et la mer, promesse de contraste : les pieds enfouis dans le mouvant des grains, le regard osé vers l’immuable marin. Déjà parti, mais encore tout à fait présent. Ce monde de la frontière ne dessine pas une fracture, il interroge au contraire les limites, effleure le bord. Il commence le monde. Il se révèle brèche et éclôt le regard ; il inaugure un dialogue où les infinis se répondent. L’instant se fige. L’homme se retrouve pris entre le grain d’un sable roulé et poli par les âges, sédiment de notre continuité, et l’azur éthéré d’une voûte qu’il n’aspire qu’à soulever. L’essentiel se condense le long de cet horizon dessiné par la mer, telle l’effraction du réel dans le rêvé.
Le roman mime cette respiration de regards, il repose sur le sable de nos expériences humaines et vise les étoiles. Il est frontière, se fait fenêtre, traversée, exploration. Il charrie avec lui la même mémoire que la mer, du premier homme au dernier, dans la même unité, il porte nos histoires. Le roman, est une perspective encadrée, un regard proposé, une porte empruntée. L’épaisseur de ses mots condense les échelles, fracasse les temps, brise sans le dénaturer le prisme des intimités. Intérieur, extérieur. Plongée. Le roman est seuil. Il est cette interférence heureuse qui déborde le bout du monde.